Oct 14, 2021
Le Réseau d’ONG arabes pour le développement (ANND) Position sur le nouvel agenda pour la Méditerranée

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Le 9 février 2021, la Commission européenne et le Haut Représentant ont adopté une communication conjointe intitulée « Nouvel agenda pour la Méditerranée ». La communication sur le partenariat renouvelé débute par un retour de 25 ans en arrière, ramenant le lecteur à l’adoption de la Déclaration de Barcelone et à l’engagement des deux partenaires à faire du bassin méditerranéen une zone de dialogue, d’échange et de coopération, garantissant la paix, la stabilité et la prospérité. Elle reconnaît l’interdépendance des deux partenaires et la nécessité de travailler dans un esprit de partenariat pour transformer les défis communs en opportunités, dans un intérêt mutuel. 



En conséquence, elle définit une série d’actions dans cinq domaines d’intervention : a) le développement humain, la bonne gouvernance et l’État de droit, b) le renforcement de la résilience et de la prospérité et tirer parti de la transition numérique, c) la paix et la sécurité, d) la migration et la mobilité et e) la transition écologique : résilience face au changement climatique, énergie et environnement. Par rapport à la révision de la PEV de 2015, ces cinq domaines d’action sont plus vastes, avec l’ajout d’une composante de développement humain, le passage de la stabilisation au renforcement de la résilience, l’élargissement de la dimension de la sécurité à la composante de la paix et, enfin et surtout, l’accent mis sur la transition numérique et la transition écologique — reflétant la politique globale du Pacte vert pour l’Europe de la Commission européenne. Un document de travail conjoint de 10 pages dans le cadre du « Plan économique et d’investissement en faveur du voisinage méridional » accompagne le nouvel agenda et comprend une série d’investissements et de projets phares préliminaires sur le plan multi pays, régional ou des pays partenaires, dans quatre des cinq domaines prioritaires susmentionnés. Le document de travail indique que ces initiatives pourraient être financées au titre du nouvel instrument financier, l’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI), et sont considérées comme indicatives et non exhaustives.



Si l’on prend en considération la communication et le document de travail, en particulier l’ensemble des initiatives phares, des modalités et des outils promus, on remarque qu’il s’agit d’un programme renouvelé plutôt qu’un nouveau programme, et que plutôt qu’une transformation, ce qui est proposé est un ensemble d’actions de continuation et de transition. Néanmoins, en observant simplement les indicateurs socio-économiques, politiques et culturels, la nécessité mondiale est de relever les défis structurels et systématiques. La pandémie du COVID-19 a mis en évidence les failles systémiques et fondamentales multidimensionnelles et l’UE, en tant qu’acteur mondial, devrait saisir cette opportunité pour proposer des alternatives avec une approche globale, intégrée et basée sur les droits. Une telle approche devrait établir un lien étroit entre les dimensions économique, sociale, environnementale, politique et culturelle. Considérant que la liste des actions phares est indicative, sachant que l’approche du nouvel agenda et les initiatives proposées ne sont pas révolutionnaires, le Réseau d’ONG arabes pour le développement soulève les questions suivantes :



Avant toute chose, l’établissement des priorités du Partenariat devrait être le résultat d’un processus structuré, inclusif, participatif et transparent garantissant l’engagement de toutes les parties prenantes concernées et s’éloigner des exercices consultatifs simples et limités. Pour garantir un « nouvel » agenda plutôt qu’un reconditionnement de vieilles recettes, cet exercice devrait s’appuyer sur un véritable cadre de suivi et d’évaluation en développant des repères et des indicateurs dans le cadre plus large du développement durable. Cela pourrait aider à identifier les lacunes dans la mise en œuvre et à développer des actions transformatrices en guise de réponse. Vingt-cinq ans d’expérience et des décennies de défis multidimensionnels en matière de développement ont beaucoup appris aux deux partenaires, et sans aucun doute significativement au niveau politique, mais l’une des principales leçons retenues est que les initiatives politiques centrées sur Bruxelles n’aboutissent pas aux résultats les plus efficaces de l’autre côté de la Méditerranée. Les pays partenaires du Sud, qui ne disposent pas d’un cadre juridique et réglementaire garantissant la participation des citoyens, devraient bénéficier d’un partenariat avec l’Union européenne, institution sui generis fondée sur la promotion des droits de l’homme fondamentaux, afin de garantir que les personnes les plus réduites au silence et les plus démunies soient entendues lors de la conception, de la planification et de la mise en œuvre des priorités et initiatives politiques.



Les défis socio-économiques des partenaires du Sud sont bien reconnus par l’Union européenne et un redressement à long terme est envisagé par le biais du « Plan économique et d’investissement en faveur du voisinage méridional ». Des économies résilientes, durables et connectées sont essentielles à cet égard. Néanmoins, pour relever les défis structurels et systémiques, le point de départ consiste à renforcer les capacités productives et à soutenir les initiatives des pays partenaires du Sud afin de passer d’économies rentières à des économies nationales diversifiées et productives. Les politiques économiques mises en place dans les pays partenaires, et les politiques de commerce, d’investissement et de privatisation promues en retour n’ont pas permis cette mutation. Si l’on ne s’attaque pas à la marge de manœuvre limitée due aux conditionnalités fixées par les acteurs internationaux, notamment le cadre de l’UE pour le commerce et l’investissement, il sera impossible de mettre en place des économies durables. 



En ce qui concerne le développement humain, l’État de droit et la bonne gouvernance, les initiatives phares indiquent qu’une administration civile et judiciaire performante, juste, transparente et redevable, contribue à accroître la durabilité, à réduire les inégalités et à améliorer le bien-être de tous. Si les réformes et les mesures proposées pour améliorer la transparence, veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte, lutter contre la discrimination et accroître la participation civique sont cruciales, elles commencent par la restauration du rôle de l’État et du secteur public. La pandémie de COVID-19 a clairement prouvé qu’il n’existe pas, et ne peut exister, d’alternative à l’État. L’État a la responsabilité première d’assurer la justice et la dignité de ses citoyens et son rôle principal est de garantir la pleine jouissance des droits et des libertés. Par conséquent, les initiatives prises dans le cadre du partenariat devraient permettre aux pays partenaires de remédier à la faiblesse de la gouvernance et d’élaborer un ensemble de politiques et de programmes dans le cadre d’un plan de développement national global afin de lutter contre les inégalités et les injustices. L’adoption de politiques de redistribution, notamment un système fiscal juste et équitable, comprenant des impôts progressifs sur le revenu et sur la fortune, et l’adoption de systèmes de protection sociale universels, sont au premier plan à cet égard. L’État devrait être en mesure d’éradiquer les différentes formes d’évasion et de fraude fiscales et de mettre un terme aux flux de capitaux illicites. 



La communication inscrit l’éducation et la santé dans le cadre de la fourniture de « services sociaux » inclusifs, efficients et efficaces. La prise en compte de ces droits de l’homme fondamentaux en tant que services fédère le rôle des investisseurs privés, par le biais de mécanismes de mixage, ce qui n’est aucunement un dispositif inédit. Pourtant, dans le cadre du financement mixte et de la promotion des partenariats public-privé, il n’existe pas d’objectif direct et explicite de développement durable, et qui place les droits de l’homme avant les profits. Au niveau de l’accessibilité financière, la fourniture d’éducation et de santé par des investisseurs privés n’est pas nouvelle dans la région et se trouve au centre des injustices et des inégalités. En ce qui concerne la santé, il est impossible d’omettre le débat sur le COVID-19 et les vaccins. La communication reconnaît que les vaccins sont un bien commun mondial et que c’est la vaccination qui contribuera à l’éradication de la pandémie dans le monde. Si les initiatives visant à mettre en place un mécanisme de partage d’une partie des 2,3 milliards de doses sécurisées par l’UE sont notées, il est important de reconnaître avant tout que le problème ne concerne pas les quantités limitées de vaccin, mais plutôt la réticence des fabricants à libérer les brevets protégés par l’accord ADPIC bien qu’ils aient bénéficié des finances publiques et des subventions, pour produire les vaccins. Il est essentiel de soutenir l’accès des voisins aux vaccins, mais l’UE et les États membres européens devraient plaider pour la libération des brevets et permettre à l’industrie pharmaceutique des pays en développement de produire les vaccins et de protéger leur population. 



En ce qui concerne les questions de migration et de mobilité, la position de l’UE ne diffère pas des communications précédentes. Le soutien en faveur des pays d’accueil, le renforcement des capacités des partenaires en matière de gestion des migrations, la gestion des frontières, les opérations de recherche et de sauvetage sont considérés comme relevant du programme phare 8 consacré aux migrations. Alors que le nouveau Pacte sur les migrations et l’asile adopté en septembre 2020 fournit le cadre et que la communication indique que l’objectif ultime vise à garantir des migrations exclusivement sûres et régulières, les organisations de défense des droits de l’homme mettent en lumière le fait que le Pacte risque d’exacerber l’accent mis sur l’externalisation, la dissuasion, le confinement et le retour, qu’il peut ébranler les garanties et augmenter la détention. Par conséquent, des outils et des initiatives similaires ne contribueraient pas à s’attaquer aux causes profondes de la migration, mais plutôt à maintenir le « fardeau des migrants » loin des frontières européennes.



D’autre part, l’attention portée sur la paix autant que sur la sécurité est bienvenue. À cet égard, la communication note le rôle de l’UE, « en tant que partenaire de confiance, l’UE est particulièrement bien placée pour réunir les parties en conflit, les partenaires internationaux et régionaux ainsi que les parties prenantes concernées, comme les acteurs du développement humanitaire et de la consolidation de la paix, dans le cadre d’un dialogue sur des questions stratégiques, de réduire les tensions et de contribuer aux efforts visant à résoudre les conflits ». Néanmoins, en ce qui concerne le processus de paix au Moyen-Orient fondé sur la normalisation des relations entre de nombreux pays arabes et Israël, l’UE a choisi de suivre l’agenda de Trump et a renoncé à son rôle de courtier neutre pour protéger les droits des Palestiniens. Pour les partenaires du Sud, en particulier pour les Palestiniens, le rôle de l’UE est indispensable, et il est crucial qu’avec ses institutions, en particulier avec le Parlement européen, l’UE continue à jouer un rôle positif et protecteur pour les droits des Palestiniens sous occupation israélienne.



La transition numérique et écologique a été une priorité de l’agenda de l’UE. Elle est également intégrée dans la nouvelle communication. La transformation numérique est envisagée à travers (i) la gouvernance, les politiques et les cadres réglementaires ; (ii) le développement des infrastructures et le soutien à l’accès universel à des réseaux améliorés, abordables et sécurisés ; (iii) la culture numérique, les compétences et l’esprit d’entreprise ; et (iv) les services numériques. La communication fixe comme objectif de stimuler la transformation numérique innovante en encourageant le déploiement de plateformes et de politiques, notamment l’administration en ligne, la santé en ligne, le commerce électronique, l’accès numérique à la culture et au patrimoine culturel, et les compétences numériques dans l’éducation. Dans ce contexte, l’UE devrait prendre en considération la fracture numérique et l’état de préparation des pays partenaires avant de promouvoir un programme de numérisation. Cela est d’autant plus essentiel que le secteur privé peut jouer un rôle clé dans de telles initiatives, mais sans mécanismes de transparence et de contrôle et sans garanties pour la protection des droits de l’homme. À cet égard, une cartographie complète des solutions numériques dans les pays partenaires du Sud peut être réalisée, avec toutes les parties prenantes concernées. En outre, un mécanisme de suivi peut être établi pour garantir que les projets fournissant des solutions numériques pour accroître la résilience des secteurs de la santé et de l’éducation soient conçus et mis en œuvre avec une approche basée sur les droits de l’homme, et que des garanties appropriées soient adoptées, notamment des évaluations des droits de l’homme.



Enfin, dernier point, mais non des moindres, au début du cycle de programmation IVCDCI, la transformation de la Communication conjointe en action nécessite des dialogues inclusifs, participatifs et structurés au niveau national et régional avec les partenaires et les centres régionaux. Il est essentiel de partager des informations en temps utile afin d’impliquer toutes les parties prenantes dans la planification, la conception et la programmation. Alors que les priorités incluses dans la Communication sont significatives du point de vue des pays partenaires, il est important d’assurer l’adoption d’une approche basée sur les droits dans la mise en œuvre et de viser à atteindre le développement durable par le biais d’une série de programmes et de projets soutenus par l’UE, mais dans le cadre des programmes de développement nationaux. 


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